Carnet de bord de tramway
Habiter les rives de l'Escaut avec le Boulon, CNAREP à Vieux-Condé.
Aujourd'hui le personnage d'Habiter Les Rives à prit le tramway entre Le Boulon et l'Hotel de Ville de Valenciennes (aller-retour) en Compagnie de Virginie Foucault.
Voici son récit :
aux alentours de 15h
apparition d’une étrange créature dans l’enceinte du Boulon
elle se faufile furtivement et s'échappe discrètement du Boulon pour prendre le chemin cavalier
filer vers son aventure
flou bleuté
quelques sourires naissent au coin des lèvres de jeunes gens croisés à la station de tramway Le Boulon
le conducteur somnole à son poste de commande
on monte à bord et une poignée de minutes plus tard, top départ
aïe la pointe du chapeau achoppe à tous les barreaux du plafond du wagon
la traversée de la rame oblige la créature à jouer habilement de la tête, tête baissée/redressée, corps recroquevillé, dos plié/déplié
je suis dans mes petits souliers
les pas sont feutrés, les passagers jettent des regards intrigués
ils sont six à bord de ce tramway que réchauffe un doux soleil d’automne
la douceur des couleurs du vêtement et du chapeau échevelé se mélange avec celle du lino bleu pailleté de la rame
la créature glisse joliment dans le balancement du tramway en mouvement
elle s'amarre
station Hameau Macou
un homme âgé, tout de rouge vêtu traînant une charrette monte à bord, jette un regard à la créature et s’installe comme si de rien n’était
son regard finit par chercher le mien et s’échappe vite vers les pieds de la créature qui commence à évoluer dans la rame, fait le dos rond, trace son chemin chapeau bas …
un face à face plein d'innoncence un instant silencieux un regard perdu
Gling Gling Gling
une jeune fille monte à Condé Hôtel de ville … elle est toute ébaubie à la vue de la créature
elle fronce les sourcils, pointe le menton en avant en forme d’interrogation, cherche autour d’elle et dans les regards des passagers une explication, esquisse un sourire, tente un regard vers moi puis plonge le nez dans son portable en s’enfuyant quelques mètres plus loin … elle a un joli minois et un air drôlement malicieux … on la croirait tout droit sortie d’un Harry Potter
une autre jeune fille, nuque et visage courbés, filme discrètement la scène, observe sagement sans rien laisser apparaître de son intérêt pour la chose
un petit garçon chouine dans sa poussette sans que cela n’ait le pouvoir de distraire sa maman de son écran de téléphone
imperturbabilité dans monde pixellisé
la jeune fille rejoint un très jeune couple avec un enfant en poussette qui depuis un moment suit le moindre geste de la créature
ils cherchent à entrer en relation
une étrange main verte se déploie hors de l’habit tel un batracien, cherche dans sa besace aux allures de grigri un papier/parchemin qu’elle leur tend
des mots s’échappent ...
« y fait trop peur » s’écrie la petite qui s’éloigne (cette fois je la verrai bien figurer dans un tableau de Veermer)
les autres cherchent à savoir qui se cache derrière ce costume bien étrange et lancent c’est quoi votre visage ?
le jeune homme évoque les risques d’amende car la créature ne porte pas de masque … et pourtant elle en porte un !!
"t’as une maison ? ... t’as quel âge ?"
d’autres mots … que je n’entends pas ...
à la fin de l’échange il s’écrie «j’oubliais ... faire l’amour, l’amour c’est important »
le couple descend à la station Les Hauts Champs à Bruay-sur-l'Escaut avec un « A la prochaine ! » en guise d’au revoir
l’on entend un message vocal à répétition dans les hauts parleurs du train-tram qui s’inscrit dans le nouvel ordre du voyage « le port du masque est obligatoire »
notre charmante jeune fille escorte maintenant le personnage dans ses déplacements pendant que résonne dans les hauts-parleurs le rappel du 1 mètre de distance à maintenir entre nous
ironie de la situation
l’ambiance est faite d’étonnements, de hochements de tête, de regards doux, rieurs, curieux, interrogateurs, de regards lointains, indifférents …
il n’y a pas d’hostilité mais une situation d’étrangeté face à cette énigmatique créature, qui semble nourrir tantôt de la perplexité tantôt de l'amusement
la créature chemine maintenant en tête de tram et le chauffeur se retourne, prend une photo d'elle et appose la main sur la vitre qui le sépare des voyageur.ses.
Joueur !
au fil du voyage qui nous emmène vers la ville centre, les rames se remplissent dans un flux continu
il y a de plus en plus de passager.es et il y a de plus en plus de téléphones qui se dressent vers la créature
on sent l’envie de savoir ce qui et qui se cache derrière cette apparition mais personne ne semble oser s’adresser aux autres personnes
au-delà des regards qui scrutent les visages deci delà
pourtant les échanges vont bon train … mais sans l’ombre d’un doute ils s’opèrent à partir des téléphones et via les réseaux sociaux
il y a des photos, des vidéos, des sms, des émoticônes, des bip bip de portables qui sonnent comme des pointes d’exclamations
on n’échange pas par la voix avec la personne sur la banquette à côté de soi mais plutôt avec celle qui est ailleurs
entre temps, un homme portant un blouson de chantier orange fluorescent poursuit une conversation téléphonique à voix haute
il partage son étonnement à qui veut, bruyamment
« j’ai jamais vu ça dans le tram … j’vais t’envoyer une photo biloute … »
"alors, ça !!!"
il raccroche et se met en tête d’aller filmer de plus près la créature, maugrée haut et fort, peine à réaliser le portrait,
parle plus à lui-même qu’à la créature comme si elle n’avait pas de réalité humaine
dans le tramway maintenant il y a autant d’airs intrigués que de franches rigolades …
de jeunes gens sont là depuis un moment et observent avec toujours le même intérêt le spectacle,
cet être différent,
une discussion amusée se crée à partir des petits papiers avec un jeune garçon aux cheveux bouclés
il cherche à voir qui se cache derrière la parure aux filaments mystérieux
sourire d'ange
l’homme au blouson fluorescent qui n’en revient toujours pas descend au Pont Jacob
le tramway file
on passe la station Clémenceau sans crier Gare
et nous voilà en plein centre ville à la station Hôtel de ville
valenciennes
rue de la poissonnerie
rue transfigurée par l’arrivée du tramway
rue ligne voie trottoir marche de voie
marche trop haute pour la franchir d’un pas
celui de la créature me fait craindre le pire
ouf
un sentiment de vulnérabilité m'assaille
c’est reparti
des ados se baladent, rient, tournent autour du personnage, jouent aux apeuré.es
deux jeunes filles s’esclaffent « on dirait Nanny Mc Phee »
d’autres observent,
d’autres admirent
des mots se partagent à la volée « waouh » « impressionnant »
ticket retour sur le quai bondé de la rue de la Poissonnerie
on repart
comme c’est plaisant d’entendre ce « Destination Le Boulon. Bienvenue ! » dans cette rame
je la préfère aux consignes de l’aller que j’oublie un temps
il y a du monde, pas mal de jeunes gens, une dame qui se plante à côté de la créature sans montrer le moindre signe d’étonnement,
la moindre émotion
une autre sourit encore, un homme, casque fixé sur les oreilles, observe l’air de rien et filme la créature tout le long de son trajet
il y en a des sourires dans ce voyage, des rires à couvert, des beaux regards, des regards hagards, des regards effarés, de la surprise
et toujours quelques effusions et réactions aux bords de soi
« c’est pas le carnaval !"
« la vie de ma mère, qu’elle s’approche pas de moi !!»
« j’ai envie de regarder en dessous de son truc »
« zarma elle est trop bizarre"
« tu ne fais pas de la sorcellerie … ? »
« ça doit être pour les Turbulentes à Vieux-Condé, on va voir si elle descend au Boulon …»
le voyage suit son cours au fil de l’eau
à Fresnes-sur-Escaut, les filaments du chapeau dansent dans les chaloupés des wagons ensoleillés
la créature s’est mise en tête du cortège, s’est fondue dans le décor, fait tournoyer son chapeau volant,
se remet en mouvement dans le bleu insoucieux de ce mercredi de septembre
les portables sont allumés, les caméras de surveillance en enfilade tout le long des rames sont actives,
le calme s’installe dans la rame qui se vide au fil des dernières stations
la créature finit par voyager comme le quidam
repasse, prend place, se pose, lasse
il est 17h20, terminus
les passager.es jettent en sortant un dernier coup d'oeil à la créature qui emprunte le chemin des gueules noires
ils la suivent du regard, de loin en loin, complices d’un dernier jeu de cache cache
elle disparaît lentement
repart comme elle est venue
avec un pas aussi léger que l’air qu’elle respire.
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